Le haut potentiel est-il un imposteur?
Qui n’a jamais entendu parler de ce fameux syndrome de l’imposteur ? Ce sentiment de ne pas être à sa place et que quelqu’un va bien s’en rendre compte, un jour.
Frein majeur à l’ascension des professionnels, le fameux syndrome provoque un étrange sentiment d’imposture — un mélange d’anxiété et de manque de confiance en soi qui pousse celles et ceux qui en sont atteints à douter d’eux-mêmes et de leurs compétences, et à rejeter leurs succès.
Si certains le vivent de manière sporadique, comme un courant d’air qui ralentit momentanément leur élan, les profils hauts potentiels y sont confrontés sur une base quasi quotidienne.
Ce syndrome de l'imposteur se camoufle sous certains réflexes et diverses pensées qui surviennent de manière spontanée. Quelques exemples de phrases types :
« C’est de la chance, rien de plus! »: Des mots qui traduisent un sentiment d’imposture. Face à un succès, vous arrive-t-il de penser que votre réussite serait davantage attribuable à la chance ou aux circonstances, plutôt qu’à votre talent.
« Je suis loin d’être une experte. »: Malgré les signes évidents d’intelligence et de compétence, craignez-vous de ne pas détenir l’expertise ou l’expérience requise à l’accomplissement d’une tâche ou d’un mandat?
« C’était tellement plus facile qu’ils semblent le croire… »: Avez-vous du mal à accueillir favorablement les félicitations et la reconnaissance?
« J’aurais pu faire mieux. »: Vous qualifie-t-on de perfectionniste? Vous arrive-t-il souvent d’être déçue par vos performances ou de penser que vous auriez pu faire mieux?
« Et si je n’y arrivais pas? »: Craignez-vous l’échec ou encore, de ne pouvoir maintenir un certain standard de performance ou de qualité dans votre travail? Avez-vous peur de vous tromper avant même d’avoir essayé?
« Ils ne savent pas qui je suis vraiment. »: Êtes-vous habitée par l’étrange sentiment de ne pas être la même personne en public qu’en privé?
« J’espère qu’ils aimeront… »: Craignez-vous secrètement de décevoir vos collègues et supérieur.e.s?
« Elle serait meilleure que moi sur ce projet. »: Votre petite voix vous laisse-t-elle parfois entendre que vous n’êtes pas aussi talentueux que vos comparses? Malgré votre expertise, vous arrive-t-il de croire que vous n’avez pas les qualifications ou les qualités pour mener à bien un projet?
« Ne me félicitez pas! C’est grâce à l’équipe. »: Un classique! Avez-vous l’habitude d’attribuer vos succès aux autres ou à des causes externes?
« Moi, directeur? Non merci! »: Bien que l’on n’aspire pas tous à devenir directeur— et c’est très bien comme ça! —, avez-vous déjà refusé une opportunité ou une promotion par peur de ne pas être à la hauteur?
Le syndrome de l’imposteur induit un doute permanent chez la personne, ce qui l'empêche de considérer ses propres compétences à leur juste valeur, et l’amène à systématiquement se dévaloriser. Ce syndrome est surreprésenté chez les personnes à haut potentiel, ces personnes qui ont une autre manière d'appréhender et de ressentir le monde. Mal appréhender ce syndrome empêchera le collaborateur d’exploiter tout son potentiel.
Autodidacte et syndrome de l’imposteur
Le syndrome de l’imposteur est également appelé syndrome de l’autodidacte. La personne autodidacte aura plus de difficultés à se sentir légitime face à sa connaissance, car à aucun moment une institution ne lui a fourni un diplôme reconnaissant ses efforts fournis et certifiant ses connaissances.
Ses grandes facultés permettront au haut potentiel d’apprendre rapidement et sans efforts. Ce manque d’effort et cette passion pour la connaissance l’inciteront d’autant plus à douter de ses connaissances et de ses capacités : « Oui, mais ce n’est pas bien compliqué d’apprendre, il suffit de lire et de comprendre », me dit Christine qui a réussi brillamment des études d’ingénieur civil.
L’autodidacte est par définition passionné par ce qu’il apprend. Cette passion l’amènera à aller chercher toujours plus loin dans un océan de connaissances. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, sa connaissance le fera douter de lui-même, jusqu’au moment où il deviendra un expert sur le sujet.
Lorsque nous démarrons une nouvelle activité nos premières connaissances nous donnent rapidement confiance en nous. Ne voyant pas l’immense étendue des connaissances à acquérir nous aurons tendance à être très confiant sur notre niveau de connaissance. Si nous ne creusons pas plus le sujet nous resterons sur cette illusion d’un grand savoir.
Le haut potentiel passionné et autodidacte comprendra rapidement la très grande étendue de connaissances qu’il devra acquérir. Si en plus il se passionne pour beaucoup de sujets différents, il lui sera d’autant plus difficile de prendre confiance face à l’étendue de connaissances d’autant plus grande.
Le haut potentiel a également tendance à raisonner en absolu: c’est tout ou rien. Il lui faudra dominer à 100% un domaine de compétence pour penser le maitriser. Il doutera de sa connaissance jusqu’à complètement maitriser le domaine de cette compétence. Ce qui est très rarement possible.
Le doute permanent
Le doute est sain car il nous permet de remettre en question nos connaissances, nos compétences, nos idées. C’est grâce au doute que nous pouvons rester dans l’analyse. Dès que l’on commence à ne plus douter, ne plus remettre en cause nos propos, la surconfiance nous guette. Nous tombons dans la bêtise à partir du moment où nous ne laissons plus aucune place au doute. C’est grâce au doute que nous continuons de progresser, de créer, d’innover quand il s’agit de remettre en question ses connaissances pour faire mieux, s’améliorer.
Mais lorsque le doute devient trop présent ou permanent, celui-ci peut empêcher la personne d’agir ou d’exploiter complètement son potentiel. Face à un doute trop intense la personne peut chercher à éviter les situations pensant ne pas avoir les capacités pour les affronter : « Non, mais ils vont trouver ma présentation ridicule », me dit Christian après avoir peaufiner à l’extrême sa présentation pendant plusieurs jours.
Dans ce cas, il est important de savoir détecter ce doute et de pouvoir agir dessus. On peut rassurer la personne sur ses qualités, sur ses dernières réussites pour lui montrer qu’elle n’a pas de raisons d’échouer. On pourra renforcer sa confiance sur le sujet en la mettant régulièrement face à des situations similaires où les enjeux sont mineurs. Par renforcement sur tous ces évènements passés, elle commencera à s’habituer. Bien évidemment un travail plus en profondeur sera à faire de son côté. Des exercices de respiration, de méditation peuvent également l’aider.
En tant que manager il est important de faire preuve d’une grande empathie et de ne pas projeter son référentiel sur celui du collaborateur. Avec votre mode de fonctionnement, il peut vous paraitre étrange de douter pour si peu. Ce n’est pas pour autant que de son côté le collaborateur ne doute pas énormément.
Face au doute : la stratégie d’auto-sabotage
Le manque de confiance en elle amène la personne à se dénigrer ou à ne pas être capable de juger à leur juste valeur ses qualités et ses réalisations. Penser que l’on est nul ou pas capable est la meilleure façon d’échouer. Lorsque le collaborateur pense qu’il n’a pas les capacités, il essaiera d’éviter la situation ou de s’auto-saboter.
On retrouve ainsi des hauts potentiels dans des situations précaires avec des petits boulots. N’ayant pas réussi à s’adapter dans leur environnement familial ou scolaire, ils finissent par se persuader qu’ils sont nuls plutôt que de comprendre que le milieu scolaire n’est pas adapté à leur mode de fonctionnement. Avec cette croyance ancrée, ils s’orientent vers de « petits boulots », en étant persuadés qu’ils ne « valent pas mieux ».
Sans aller vers ces extrêmes, en entreprise un haut potentiel n’étant pas totalement conscient de ses capacités pourra largement minimiser ses compétences. De fait il se retrouvera à des postes où très rapidement il s’ennuiera et sa motivation s’en ressentira.
Avec une faible motivation, son travail ne sera pas forcément excellent ce qui peut renforcer sa croyance sur son manque de capacités.
De l’autre côté, son manager pourra également se convaincre à tort de son manque de compétences. Le haut potentiel non capable de mettre ses qualités en avant se verra attribuer des tâches simples. Ces tâches simples n’ayant que peu de sens pour lui, sa motivation sera faible et la qualité du travail également. Ce qui renforcera la croyance de son manager.
Face à un haut potentiel, il faut pouvoir détecter ses forces et constamment le stimuler avec des projets ambitieux où il pourra développer son potentiel et sa confiance en lui.
Dans sa théorie de l’auto-efficacité, le psychologue Albert Bandura explique que le sentiment d’efficacité personnel joue sur la confiance en soi et le développement des compétences. En mettant le haut potentiel sur le chemin de la réussite et en lui laissant une grande autonomie, il pourra développer son sentiment d’efficacité et sa confiance en lui.
Du manque de confiance à la surqualité
A l’inverse de la stratégie d’auto-sabotage, d’autres exécuteront un travail souvent au-delà des attentes. Pour se rassurer, le haut potentiel n’ayant pas confiance en lui et par peur de décevoir, peut pousser l’exigence pour son travail très loin. Dans ce cas, un manque de confiance en lui, se traduira par une remise en question de son travail, de ses qualités, de ses performances. Cette remise en question sera bénéfique car cela l’amènera à remettre en question son travail et l’incitera à toujours s’améliorer.
Cependant, augmenter constamment le niveau de qualité n’est pas toujours utile et est source de stress et de fatigue, qu’en tant que manager il faudra savoir détecter et gérer.
Au-delà d’un certain niveau de qualité, le travail peut ne pas être reconnu par l’interlocuteur qui ne pourra faire la différence. Tout l’enjeu est de savoir juger du niveau de qualité attendu pour éviter d’en faire plus, car tout le surplus sera inutile. Toute l’énergie dépensée et le temps passé pour fournir ce surplus de qualité seront inutiles. Le haut potentiel pourra ressentir une frustration si son travail ne peut être reconnu à sa juste valeur.
Face à un profil qui a tendance à générer de la surqualité, le manager devra bien expliquer les attentes et le niveau de qualité attendu. Le haut potentiel doit également prendre conscience que les tâches à exécuter peuvent lui paraitre faciles, ce n’est pas pour autant qu’elles n’ont pas de valeur.
Lorsqu’un certain niveau de qualité est attendu et que le collaborateur fournit un travail d’une qualité largement supérieure, cela peut effrayer le manager par une masse d’informations trop importante, une analyse trop large voire même des réponses à des questions non demandées. Cela peut diluer les messages clés, donner l'impression de se disperser en soulevant de nouvelles questions qui créent souvent de la frustration chez le manager et les collègues. Ce qui paraît complexe et difficile à comprendre pour les uns est d'une évidence et d'une simplicité pour le haut potentiel qui ne comprend pas qu'il est rassurant pour son interlocuteur de pouvoir avoir des réponses simples, même si celles-ci ne sont pas totalement exhaustives, plutôt que des réponses complexes qui au final laissent trop de choix.
Il y a donc inévitablement un risque de créer une tension qui va alimenter le syndrome de l'imposteur, le HP a le choix de soit répondre aux demandes de manière superficielle (pour lui) pour satisfaire sa hiérarchie mais qui ne valorise pas ses compétences ou de faire un travail complet et répondre de manière exhaustive aux demandes sans avoir de reconnaissance pour tout le travail accompli. Dans les deux cas, il peut perdre confiance et se dévaloriser.
Pour éviter que le haut potentiel ne fasse de la surqualité, c'est important de bien clarifier le niveau d'exigence dès le début et de définir un objectif suffisamment ambitieux sans pour autant l’enfermer dans un rôle trop cadré pour éviter la frustration et l’ennui. Il pourra dès lors mieux mettre en rapport la qualité de son travail à fournir et le niveau attendu.
Lui donner un feedback positif, l'encourager à se focaliser, lui rappeler les limites et célébrer les succès, c’est le protéger de l’épuisement tout en développant sa confiance en lui.